Nouvelle étape dans le déploiement de l’agence européenne hors de ses frontières. Après la Moldavie et la Macédoine du Nord, le Monténégro va accueillir des gardes-frontières sur son territoire. Le pays et le Conseil européen se sont entendus le 15 mai 2023 sur un accord qui s’applique à titre provisoire depuis le 1er juillet.
Depuis l’adoption d’un nouveau règlement en 2019, Frontex peut intervenir dans les pays non-membres de l’Union sur l’ensemble de leur territoire et pas seulement dans les régions limitrophes de l’UE, comme c’était le cas auparavant. Cette coopération nécessite toutefois l’accord des pays concernés.
Les pays des Balkans : une priorité pour Frontex
En décembre 2019, le nouveau règlement Frontex, adopté par le Conseil et le Parlement européen, est entré en vigueur. Il donne le cap de l’agence sur plusieurs années. Frontex compte actuellement 500 membres déployés le long des frontières de l’UE avec les pays des Balkans occidentaux. Avec ce nouveau texte, est prévue la création d’un contingent permanent de 10 000 personnes d’ici 2027. Des agents qui reçoivent des « pouvoirs d’exécution accrus ». Plus précisément, ce nouveau mandat confère à Frontex des tâches supplémentaires consistant à confirmer l’identité et la citoyenneté des personnes, à approuver l’entrée lorsque les conditions sont remplies, à interdire l’entrée dans l’UE, à tamponner les documents de voyage, à accepter ou à refuser les visas à la frontière, à surveiller les frontières en effectuant des patrouilles, à appréhender les franchissement illégaux, ou encore à enregistrer des empreintes digitales des personnes détenues. Mais surtout, ce texte prévoit une coopération resserrée avec les pays non-membres de l’UE. C’est cet élément qui cristallise les négociations actuelles. Pour permettre aux membres de Frontex de se déployer au-delà des régions frontalières de l’UE, des accords doivent être conclus avec les pays concernés qui demeurent souverains.
À partir d’octobre 2022, ces négociations sont apparues comme une priorité dans le plan d’action de la Commission européenne. D’autant plus que la route des Balkans occidentaux est devenue la principale voie empruntée par les personnes exilées pour rejoindre l’Union.
Le premier accord de ce type a été conclu avec la Moldavie en mars de l’année dernière. Les négociations antérieures avec la Macédoine du Nord sur l’ancien mandat ont été renouvelées et prolongées. Elles ont abouti à un accord entré en vigueur le 1er avril 2023. Un mois plus tard, le Monténégro emboîtait le pas. Enfin, le Conseil a donné son feu vert à l’ouverture de négociations sur un nouvel accord avec la Serbie, l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine. La présence du personnel de Frontex, désormais doté de pouvoirs exécutifs, marque le premier déploiement de l’agence en dehors de sa juridiction territoriale d’origine.
Hans Leijtens : Un général nouvellement élu pour diriger Frontex
La Hongrie, membre de l’UE depuis 2004, constituait le pays des Balkans dans lequel l’agence Frontex assurait une part importante de ses activités. Il y a deux ans (27 janvier 2021), l’agence suspendait ses opérations du côté hongrois de la frontière avec la Serbie à la suite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne condamnant le pays pour avoir enfreint la législation de l’UE en procédant à des refoulements illégaux de migrants en provenance de Serbie. Des refoulements et violations de droits humains confirmés par une enquête confidentielle menée par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) rendue publique par le média allemand Der Spiegel. Le rapport de 123 pages, fait état de refoulements illégaux de migrants couverts et exercés par des agents de Frontex.
Après près de sept ans d’alertes de la part d’ONG, une enquête de l’OLAF et deux condamnations de la CJUE, Frontex a finalement fait le choix de suspendre ses activités du côté hongrois et son directeur Fabrice Leggeri de démissionner. Après un intérim de Madame Aija Kalnaja également sous le coup d’une enquête de l’OLAF, la direction de Frontex a été reprise le 20 décembre 2022 par le général néerlandais Hans Leijtens. Dans la foulée, Frontex a déplacé ses opérations du côté serbe de la frontière dans le cadre du projet d’externalisation des frontières de l’UE.
Quinze jours après sa prise de fonction, le nouveau directeur de l’agence Frontex s’est rendu avec la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, en Serbie pour visiter le poste-frontière officiel entre les localités de Horgos (Serbie) et Roszke (Hongrie). Il a exprimé son impatience de « renforcer » la coopération de l’agence avec les partenaires serbes.
.@LeijtensFrontex: I appreciate the support from our Serbian partners and look forward to further strengthening our cooperation on the ground pic.twitter.com/8Uax5U6B0e
— Frontex (@Frontex) 16 mars 2023
Des frontières européennes au-delà du territoire européen ?
Avec ces déploiements, Frontex s’engage dans un processus « d’externalisation des frontières » étudié de longue date en science politique et notamment par le professeur Didier Bigo. À l’échelle européenne, « L’externalisation des frontières » ou « la police à distance » traduisent le fait que le contrôle de nos frontières se fait par des Etats tiers, sur les frontières extérieures de l’UE. Concrètement, l’Union européenne délègue à des Etats voisins, dits de « transit », la charge de réguler les entrées sur son propre territoire. De fait, les Pays des Balkans sont des pays de transit. Des pays traversés par les personnes exilées qui tentent de rejoindre l’Union européenne. Ils sont, par leur position stratégique, des partenaires de choix. Enclavés entre des pays européens, ils ont vocation à servir de zone tampon pour l’Union.
Ces pays sont également des candidats pour adhérer à l’UE. La Hongrie est membre depuis 2004, mais d’autres pays des Balkans sont moins avancés dans le processus d’adhésion. Le 15 décembre 2022, le Kosovo a déposé sa demande d’adhésion à l’Union européenne. La Macédoine du Nord est quant à elle officiellement candidate depuis 2005, tout comme le Monténégro (depuis 2010), la Serbie (depuis 2012) et l’Albanie (depuis 2014). Ils doivent donc se préparer à entrer dans l’espace Schengen qui implique une levée des frontières internes. Cette perspective justifie un soutien de l’UE dans le cadre de son modèle de « gestion intégrée des frontières européennes ». Soutien qui se traduit financièrement par les Instruments d’aide de pré-adhésion (I, II et III). C’est ainsi que l’Union européenne finance et gère ses frontières au travers de pays voisins, candidats. Cette politique d’externalisation présente de nombreux intérêts pour l’Union et notamment celui de se décharger de la responsabilité d’étudier des demandes d’asile sans renoncer formellement à ses engagements internationaux (convention de Genève, Déclaration universelle des droits de l’homme). Dans le cadre de cette politique, l’agence européenne Frontex va être amenée à jouer un rôle accru et c’est là tout l’enjeu des accords conclus et à venir.
[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R1896
[2] https://www.euractiv.fr/section/elargissement/news/balkans-occidentaux-lue-propose-un-plan-daction-pour-la-gestion-des-routes-migratoires/
[3] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/strengthening-external-borders/
[4] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R1896&from=FR
[5] https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/european-border-and-coast-guard.html
[6] https://twitter.com/OliverVarhelyi/status/1585010037109542913
La route des Balkans est aujourd’hui l’itinéraire privilégié par les personnes exilées. Avec 145 600 passages frontaliers irréguliers détectés par FRONTEX en 2022 la route des Balkans représente 45% des entrées irrégulières sur le territoire européen. (ces chiffres sont imparfaits puisqu’une même personne peut être comptabilisée plusieurs fois si elle tente plusieurs fois de traverser la frontière)
[8] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220323IPR26106/feu-vert-au-deploiement-de-frontex-en-republique-de-moldavie
[9] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/02/24/border-management-eu-concludes-agreement-with-north-macedonia-on-frontex-cooperation/
[10] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_22_6276
[11] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2021-001120_FR.html
[12] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62018CJ0808&from=FR
[13] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2022-001717_FR.html
[14] https://www.spiegel.de/international/europe/why-der-spiegel-is-publishing-the-eu-investigative-report-on-pushbacks-a-5218398a-5c1e-414e-a477-b26515353fce
[15] https://cdn.prod.www.spiegel.de/media/00847a5e-8604-45dc-a0fe-37d920056673/Directorate_A_redacted-2.pdf
[16] CJUE, 14 mai 2020 et du 17 décembre 2020.
[17] https://www.euractiv.fr/section/politique/news/la-directrice-de-frontex-sous-enquete-de-lolaf/
[18] https://twitter.com/Frontex/status/1636321778178850816
https://twitter.com/YlvaJohansson/status/1636318435763183617
[19] https://twitter.com/Frontex/status/1636321781047861248
[20] En Serbie, en 2021, sur un total de 2 306 étrangers ayant exprimé leur intention de demander l’asile seules 172 personnes (7,45 %) ont effectivement déposé une demande d’asile. Sur l’ensemble seules 7 personnes ont obtenu l’asile. Les procédures étant interrompues car la majorité des personnes continuent à migrer davantage sans attendre la décision finale : Page 38, profil migratoire 2021 – chiffres du ministère de l’intérieur Serbe.
[21] https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/167/l-elargissement-de-l-union
[22] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_23_1629
[23] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/western-balkans-route/#visa
[24] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0324_FR.html