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Amélie CONSTANT
- 17/07/2023
- Photo_Amélie Constant
Vers une remise en cause de l'acquis Schengen
La liberté de circulation en Europe est singulièrement mise à mal. L’espace Schengen est une sorte de bulle à l’intérieur de laquelle les personnes peuvent se déplacer d’un État à un autre sans que leur passeport ne soit vérifié. Mais depuis la crise migratoire de 2015, de nombreux pays ont rétabli des contrôles à leurs frontières. Présenté comme un acquis, Schengen est pourtant bien malmené, et ce, depuis bientôt une dizaine d’années.
Alors que l’intégration de la Bulgarie et de la Roumanie devrait faire l’objet de discussions prochaines, les appels au respect du principe de libre circulation se font de plus en plus fréquents. L’espace Schengen doit fonctionner « dans le respect de son esprit originel, c’est-à-dire sans contrôles internes » soulignait l’ambassadeur d’Espagne en Roumanie, José Antonio Hernández Pérez-Solorzano, le 3 juillet dernier. Il était à Bucarest pour présenter le soutien de son pays à l’adhésion de la Roumanie.
Schengen - une fierté européenne
Les accords de Schengen sont présentés comme « l’un des principaux accomplissements du projet européen ». Conclus en 1985 par la France, l’Allemagne de l’Ouest et le Benelux, ils regroupent aujourd’hui 23 des 28 Etats de l’Union européenne, ainsi que quatre pays extérieurs : l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein. L’objectif est de supprimer les contrôles aux frontières communes et d’instaurer un régime de libre circulation des personnes entre les États membres. On assiste pourtant à une érosion de ce principe.
« Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières ne soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité » - Article 20 Code Schengen
En Autriche, et ailleurs, les contrôles ont été réintroduits en 2015 pour faire face à la crise migratoire. Depuis, ils sont maintenus de façon permanente. Le ministre de l’Intérieur autrichien, Gerhard Karner, a exprimé son intention de les prolonger pour six mois à ses frontières avec la Slovénie et la Hongrie le 11 avril dernier. Si une clause de la convention de Schengen autorise les Etats à rétablir des contrôles aux frontières intérieures, ils doivent toutefois être justifiés par des circonstances exceptionnelles et être temporaires. Ainsi, ils peuvent être décidés en cas de « menace grave pour l’ordre public et la sécurité intérieure » (pour six mois maximum) ou pour faire face à des événements imprévus (pour cinq jours maximum), et après consultation des autres Etats du groupe Schengen.
Sollicitée par Nicolas Sarkozy, et le président du conseil italien, Silvio Berlusconi, une réforme a étendu en 2013 la possibilité de rétablir les frontières intérieures jusqu’à vingt-quatre mois en cas de « défaillance grave du contrôle des frontières extérieures ». En effet, la zone Schengen ne signifie pas l’absence complète de contrôle. Les pays coopèrent pour effectuer des contrôles sur les frontières extérieures de la zone. Pour ce faire, ils disposent de nombreux moyens. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) assure ainsi une surveillance. Une base de données commune, baptisée « SIS » (Système d’Information Schengen), permet également de signaler des personnes ou des objets recherchés ou portés disparus.
La « crise » migratoire de 2015 pour justifier le rétablissement des frontières intérieures
Pendant quelques années, les Etats ont usé de la possibilité de rétablir les contrôles aux frontières intérieures avec parcimonie. Ils ne duraient que quelques jours pour faire face à des événements internationaux tels que le G20 de Cannes, l’Euro 2012 de football, la COP 21 ou des menaces de terrorisme. À compter de 2015, les choses ont changé. L’Allemagne, suivie de la République Tchèque, la Slovaquie et l’Autriche, ont, tour à tour, invoqué les questions d’immigration. La guerre civile en Syrie et les nombreux conflits dans le monde amenaient un million de réfugiés à rejoindre l’Europe. Face à cette crise d’ampleur, les Etats rétablissaient leurs frontières intérieures. Seulement cette « crise » s’est prolongée et les contrôles avec. Ce qui devait au départ être une mesure ponctuelle s’est prolongé de façon presque continue.
L’Autriche a ainsi usé de ce mécanisme pendant près de huit années consécutives ce qui lui a valu un rappel à l’ordre de la Cour de justice de l’Union européenne le 26 avril dernier : « En cas de menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure, un État membre peut réintroduire un contrôle à ses frontières avec d’autres États membres mais sans dépasser une durée totale maximale de six mois. Ce n’est qu’en cas de survenance d’une nouvelle menace grave qu’il peut être justifié d’appliquer de nouveau une telle mesure ». La Cour a considéré que l’Autriche n’avait pas su démontrer l’existence d’une nouvelle menace. Le pays aurait dû trouver d’autres moyens pour faire face à l’arrivée de migrants son territoire. En substance, comment parler de crise après tant d’années ?
Vingt jours plus tard (16 mai), la Commission européenne s’est également saisie de la question. Elle a directement menacé l’Autriche de poursuites judiciaires et a lancé une procédure de consultation formelle avec tous les États membres ayant rétabli ou étant concernés par de tels contrôles. L’objectif : « Évaluer dans quelle mesure les menaces avancés par les États membres peuvent être considérés comme des motifs nouveaux, par rapport à ceux avancés précédemment, et si les contrôles aux frontières réintroduits en réponse à ces menaces sont nécessaires et proportionnés. »
À noter que cinq autres pays, dont la France, sont concernés par cette procédure. La France a elle-même rétabli le contrôle à ses frontières avec l’Italie depuis 2015. D’abord pour « prévenir le risque terroriste & contrôler les flux migratoires » la mesure a été maintenue ensuite en raison de la covid-19. Le 1er mai 2023, une nouvelle prolongation de 6 mois a été décidée pour prévenir les risques terroristes liés à la Coupe du monde de Rugby ainsi que les flux migratoires.