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Des demandes d'asile sous-traitées au Rwanda par le Royaume-Uni ?

Victoire pour les demandeurs d’asile au Royaume-Uni. La Cour d’appel vient d’invalider le projet qui aurait permis au gouvernement britannique de déporter au Rwanda les réfugiés entrés clandestinement en Grande-Bretagne, et ce, quelle que soit leur nationalité. Amélie Constant avait constaté l’effet de cette décision sur les migrants bloqués sur les côtes françaises. Elle s’était rendue à Calais, en décembre 2022 alors que la Haute Cour de Justice britannique donnait son feu vert à l’accord.

Vent de panique à Calais. Lundi 19 décembre 2022, le très controversé projet de la Grande-Bretagne, était partiellement validé par la Haute Cour de Justice britannique. Une décision à fort impact pour les personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique. 

Depuis trente ans, de nombreuses personnes exilées s’amassent sur le littoral Nord pour tenter de rejoindre les côtes anglaises via La Manche. Depuis l’annonce, l’angoisse est palpable. Malgré le rêve d’un avenir plus sûr au Royaume-Uni partagé par la majorité, le doute est certain. Toutes s’inquiètent de se voir expulser dans un pays avec lequel elles ne partagent rien si elles parviennent à rejoindre les côtes anglaises.

Feu vert de la Haute Cour de Justice.

Le 13 avril dernier, Londres s’engageait à verser à Kigali la somme de 144 millions d’euros, en contre-partie de quoi, le Royaume-Uni obtenait la possibilité de « sous-traiter » ses demandes d’asile au Rwanda. 

Deux mois plus tard, la Cour européenne des Droits de l’Homme – dont le Royaume-Uni dépend – interrompait le premier charter en direction du Rwanda et invitait les juridictions britanniques à se prononcer sur la légalité de l’accord. En attendant, elle suspendait tout départ de charter en direction du Rwanda avant que tous les niveaux de la justice britannique ne se soient prononcés. La décision du lundi 19 décembre constituait un premier niveau de validation de l’accord. Dans la foulée, Suella Braverman, ministre de l’Intérieur britannique, qui dans une interview avait déclaré que son rêve était de voir partir un avion de migrants vers le Rwanda, avait annoncé son intention de procéder à des expulsions massives « à grande échelle », et ce, « dès que possible ».

Ce ne sera pas pour tout de suite puisque la Cour d’appel s’est prononcée en défaveur du projet. 

Les personnes concernées par l'accord​

Si l’accord avait été validé dans son ensemble, la Haute Cour de Justice s’était en revanche opposée à l’expulsion des huit personnes exilées à l’origine du recours. En effet, le tribunal avait estimé que la ministre de l’Intérieur aurait dû tenir compte de la situation individuelle de chaque demandeur d’asile. La minorité d’un demandeur d’asile ou encore ses liens familiaux au Royaume-Uni, auraient dû être pris en compte par la ministre. 

Joëlle, fait partie d’une petite association installée à Calais, Chanel Info Project. Avec deux autres volontaires, elle tente d’apporter une réponse aux nombreuses interrogations des personnes qu’elle rencontre sur le Littoral Nord. Selon elle, le flou quant au fonctionnement de l’accord est volontairement entretenu par le Home office britannique. Le but étant de créer de l’anxiété, de la désinformation et in fine, de décourager le passage en Angleterre. Son ambition est donc de décortiquer les termes de l’accord et de fournir une information « vérifiée et multilingue » aux intéressés. À défaut de faire valoir des spécificités individuelles, Joëlle estime que toutes les personnes présentes à Calais qui se rendraient au Royaume-Uni pourraient se voir « relocalisées » au Rwanda. 

Le Rwanda un pays tiers sûr ?​

Les personnes à l’origine du recours arguaient que les demandes d’asile des personnes relocalisées au Rwanda ne seraient pas effectivement examinées par Kigali et que les demandeurs d’asile couraient le risque d’être refoulés directement ou indirectement vers le pays qu’elles ont fuit. Enfin, ils affirmaient qu’il n’était pas garanti que les personnes exilées ne risquent pas de mauvais traitement au Rwanda. Ce faisant, le Rwanda ne pouvait être qualifié de « pays tiers sûr ». Un argument qui n’a pas su convaincre la Haute Cour de Justice, mais qui a finalement été retenu par la Cour d’appel. Selon ses termes : « Il existe un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays d’origine où elles sont confrontées à des persécutions ou à d’autres traitements inhumains alors qu’en fait, elles ont une bonne demande d’asile. » 

Un objectif de dissuasion pour Londres​

L’un des points essentiels d’analyse de la Haute Cour résultait également du respect ou non de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Adopté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce texte, signé par 145 Etats – dont le Royaume-Uni – définit le statut de réfugié.

Or, cette Convention prévoit qu’il est interdit aux Etats membres d’appliquer des sanctions pénales aux demandeurs d’asile, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers. En effet, de nombreux réfugiés quittent leur pays de manière précipitée et donc, sans les documents requis pour voyager (passeports, visa). Afin d’assurer aux personnes qui fuient des persécutions, une protection effective, la Convention s’oppose à ce que l’asile soit conditionné à la présentation de documents de voyage. De ce fait, il est également interdit aux États de prévoir une sanction pour être entré sur le territoire sans papiers. C’est là toute l’ambiguïté de l’accord. Le Royaume-Uni ne refuse pas l’asile aux personnes dépourvues de visa, mais entend les envoyer au Rwanda pour que soit traitée leur demande d’asile.  

Un arrangement qui ne convainc pas les associations. Ces dernières soutenaient que, puisque l’accord avait pour objectif de dissuader les personnes exilées de tenter la traversée au Royaume-Uni, il pouvait être assimilé à une sanction. La justice britannique en a décidé autrement. Si l’objectif dissuasif n’a pas été nié, il n’a pu être apparenté à une sanction pénale.

Un intérêt politique et financier pour Kigali​

Au-delà des 144 millions d’euros versés au Rwanda, le pays tire un avantage politique certain de cet accord. Sur le plan international, Kigali s’impose pour les pays occidentaux comme la  solution à la « crise migratoire ».

Depuis plusieurs années, ce petit pays, pourtant pauvre et très peuplé multiplie les déclarations en faveur de l’accueil de réfugiés. En novembre 2018, il s’inscrivait déjà dans cette logique lorsqu’il proposait d’accueillir sur ses terres jusqu’à 30 000 Africains bloqués en Libye. L’Union européenne était alors embarrassée par les images cruelles des prisons libyennes et les décès en mer Méditerranée. Le Rwanda offrait une alternative à l’accord signé un an plus tôt entre l’Italie et la Libye. (Selon celui-ci, l’Italie contribue au financement, à la formation et à l’équipement des gardes-côtes libyens, pour qu’ils interceptent les migrants en Méditerranée et les renvoient de force sur les terres libyennes.) L’accord finalement conclu en septembre 2019 entre le Rwanda, le haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Union africaine (UA), offrait à l’Union européenne une solution au problème libyen. 

Récemment, le Danemark a emboîté le pas au Royaume-Uni. Il a annoncé avoir signé une déclaration bilatérale en vue d’un accord avec le Rwanda qui fonctionnerait selon le même mécanisme que l’accord britannique. 

 

Il reste que le pays, est régulièrement épinglé pour ses atteintes aux droits fondamentaux. Le 25 janvier 2021, à la suite de la 37ème session de l’Examen périodique universel (EPU), qui consiste à examiner l’état des droits humains dans les pays membres des Nations-Unies, le Royaume-Uni recommandait au Rwanda de « Dépister, identifier et fournir un soutien aux victimes de la traite, y compris celles détenues dans les centres de transit du gouvernement. » Centres de transit où furent justement accueillis les réfugiés évacués de Libye. 

De surplus, le Royaume-Uni recommandait au Rwanda de « Mener des enquêtes transparentes, crédibles et indépendantes sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires, de décès en détention, de disparitions forcées et de torture, et traduire les auteurs en justice. » mais également de « Protéger et permettre aux journalistes de travailler librement, sans crainte de représailles, et veiller à ce que les autorités de l’État respectent la loi sur l’accès à l’information. » À rebours de ces considérations, Londres est désormais prête à y envoyer ses demandeurs d’asile. 

Le haut Commissariat de l’ONU aux réfugiés, qui avait pourtant reconduit le projet libyen en 2021 est cette fois intervenu devant la Haute Cour en opposition au projet britannique. Il a exprimé son inquiétude quant à l’absence de « composantes minimum d’un système d’asile fiable et juste » au Rwanda. Il alertait sur de « graves risques de violations » de la Convention.

La bataille judiciaire est loin d’être terminée. Le gouvernement britannique a jusqu’au 6 juillet pour saisir la Cour suprême qui sera ensuite susceptible de se prononcer. L’ensemble de la procédure pourrait prendre plusieurs mois. En attendant, n’en déplaise à Madame la Ministre, la mesure provisoire émise par la Cour européenne empêche toute expulsion vers le Rwanda.