Dans le nord de la Serbie, les migrants et les réfugiés sont l’objet de prédations économiques. Les réseaux de passeurs, qui se livrent à une violente concurrence, attaquent les migrants pour leur dérober leurs biens et leur argent. Les trafiquants contrôlent aussi les centres d’accueil à l’intérieur desquels tout se monnaye. Des locaux, chauffeurs de taxi ou gérants de magasin, affichent des prix exorbitants lorsqu’ils font affaire avec des migrants ou des réfugiés. Sans oublier les policiers corrompus qui n’hésitent pas à les racketter en les menaçant d’interpellation ou en utilisant la violence physique.
La route de l’exil coûte cher. Depuis la Turquie, les personnes qui souhaitent rejoindre l’Union européenne doivent débourser en moyenne plus de dix mille euros et depuis la Serbie, le trajet coûte environ trois mille euros. Avec plusieurs dizaines de milliers de migrants et de réfugiés qui empruntent chaque année la route des Balkans, le trafic d’êtres humains est un business extrêmement lucratif pour les passeurs. Cependant, avec une nette diminution du nombre de personnes souhaitant passer illégalement, la manne financière commence à se tarir. Face à ce phénomène, toujours plus violent, les réseaux de passeurs s’entretuent quand ils ne s’en prennent pas aux migrants. C’est ce qu’il s’est passé le 25 juin dernier dans la forêt qui borde la ville serbe de Subotica. Deux groupes afghans concurrents se sont combattus à l’arme automatique. En réaction, les autorités serbes ont lancé une importante opération de police. Les unités de police ont fait évacuer, par la force, les camps illégaux (surnommés « squats » par les locaux et les humanitaires) qui se trouvent dans le nord du pays notamment autour des villes d’Horgos, de Subotica et de Sombor. De ce fait, un nombre important d’occupants de ces camps a quitté les lieux pour se réfugier dans les forêts avoisinantes. Les migrants, qui craignent à raison la police, se retrouvent dans une situation encore plus précaire, accentuant leur dépendance vis-à-vis des passeurs et du système de corruption qui s’est installé dans la région.
Les passeurs : premiers prédateurs
Les réseaux de passeurs s’organisent par nationalité et/ou par groupe linguistique. Ainsi, les migrants et réfugiés afghans utilisent des organisations afghanes, les Syriens passent par les groupes syriens, et ainsi de suite. Dans les pays qu’ils doivent traverser, les migrants sont obligés d’utiliser la logistique et les « infrastructures » du réseau de passeurs chargé de les faire passer en Europe. Arrivés à proximité des points de passage, ils doivent attendre le feu vert des passeurs pour traverser la frontière. En attendant, ils séjournent dans des camps de fortune. Certains de ces « squats », comme à Sombor, se situent à côté des centres d’accueil mis en place par le gouvernement serbe. À l’intérieur de ces derniers, qui accueillent parfois plusieurs centaines de personnes, les migrants participent à cette économie locale informelle pour financer leur passage ou tout simplement pour subvenir à leurs besoins. Il y est possible d’acheter des vêtements, des chaussures ou encore de s’y faire couper les cheveux ou tailler la barbe. Cependant, pour faire du négoce, il faut l’autorisation des passeurs. En échange de leur accord, ils prélèvent 50 % du chiffre d’affaires sur chaque commerce. Pour les migrants les plus pauvres, certains sont employés directement pas les trafiquants. Ils servent d’intendance dans les squats, de guetteurs, de combattants ou sont même obligés de se prostituer, témoignant de leur situation extrêmement précaire. Comme l’explique Molly, une citoyenne britannique qui travaille pour l’ONG Medical volunteers international (MVI) : « La situation sanitaire dans les camps de migrants est déplorable. Beaucoup de migrants souffrent de blessures liées à des exactions des forces de police, des morsures de chiens, ils ont des bras et des jambes cassés, des traumatismes crâniens et autres hématomes dus à des coups ». Elle précise aussi que beaucoup de migrants se blessent avec les barbelés et les grillages lorsqu’ils tentent de passer les frontières. Ceux qui attendent dans les bois souffrent également des piqûres d’insectes. Enfin, une part non-négligeable de jeunes garçons (entre 16 et 20 ans en moyenne) souffre de maladies sexuellement transmissibles dues en majorité à la prostitution. Pour Molly, « ces gens se retrouvent dans des situations terribles. Dans les centres d’accueil de Subotica et de Sombor, le médecin ne passe qu’une à deux fois par semaine, et seulement pour quelques heures. Ils n’ont aucun refuge. »
Corruption dans les centres d’accueil
Dans les centres d’accueil, les réseaux de passeurs ont pris le contrôle. Les migrants et les réfugiés doivent monnayer leur lit, leur nourriture et les douches. Les trafiquants corrompent certains des administrateurs du camp et des agents de sécurité. Ainsi, ils peuvent vendre, sans entraves, de la drogue (notamment du cannabis) entre autres biens de consommation. Le gouvernement serbe essaye d’organiser les camps par nationalités, officiellement pour éviter les violences entre groupes ethniques. En plus, l’accès aux centres n’est autorisé que si les personnes possèdent des papiers d’identité. De ce fait, les administrateurs, notamment du centre Prihvatni, près de Subotica, utilisent ces prétextes pour refuser à certains migrants l’accès au camp et même aux soins, aux douches et aux repas. Devant le centre d’accueil Prihvatni, des dizaines de migrants qui vivent dans des squats se regroupent dans l’espoir d’obtenir de l’aide. Abdul, un Afghan de dix-neuf ans, témoigne : « Nous sommes là toute la journée devant le camp, mais ils ne nous laissent pas rentrer. Nous n’avons pas le droit d’avoir à manger, de prendre une douche ou même de voir le docteur. Il faut payer environ 100 euros pour pouvoir accéder aux camps ». Plusieurs autres migrants ainsi que des humanitaires confirment son récit. Les autorités en charge du camp Prihvatni n’autorisent pas les journalistes et les ONG à pénétrer dans le centre et se refusent à tout commentaire. Profitant de cette situation, des locaux ont installé des magasins à proximité des centres d’accueil (Subotica et Sombor) dans lesquels ils vendent aux migrants des biens de première nécessité (eau, nourriture, papier toilette, produits d’hygiène personnelle…) à des prix bien plus élevés que dans les commerces classiques. Aux abords des camps légaux, des taxis stationnent et attendent les migrants. Ils leur servent de transport et les conduisent entre les différents centres d’accueil, dans les camps illégaux ainsi qu’en ville où ils peuvent se fournir en vêtements, en téléphone et en biens de première nécessité dans les supermarchés. Cependant les taxis demandent des prix exorbitants – cinquante euros par personne pour un trajet d’une vingtaine de minutes. Nikola Pajic, ancien membre du Conseil municipal de la ville de Sombor, précise qu’ « à Sombor, l’économie locale est stagnante. La présence des migrants a été un véritable boost. Durant le covid-19, la ville a survécu grâce à leur présence. Il y a quelques années, la ville ne comptait que cinq fast-foods et quelques magasins de téléphonie et de vente de vêtements. Aujourd’hui, on dénombre plusieurs dizaines de fastfoods ainsi qu’une forte augmentation du nombre de magasins de vêtements et de téléphonie. Le nombre de taxis a aussi fortement augmenté. ». Ceux-là n’échappent pas aux contrôles de police. En cas d’opérations anti-immigration organisées par les autorités, les migrants sont arrêtés ou payent pour éviter d’être interpellés. Plusieurs sources confirment que la police locale rackette de manière récurrente les migrants. Ils doivent en moyenne payer cinquante euros par personne pour ne pas être transportés dans des camps dans le sud du pays ou pour ne pas être battus. Dans le nord de la Serbie, où l’économie est faible, et où les policiers locaux touchent entre trois cents et six cents euros par mois, les migrants et les réfugiés représentent une source d’argent non-négligeable.