Des(dé)routes

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En Bosnie, le quotidien des réfugiés bloqués à la frontière

Le long de la route européenne 761, dans le Canton d’Una Sana, en Bosnie-Herzégovine, une file de taxis stationnent. Ils attendent des groupes de migrants qui descendent de la montagne. Par la fenêtre les négociations sont rapides. Pour un tarif allant de 100 à 300 euros, les hommes sont emmenés à Velika Kladusa dernière ville avant la Croatie. Ce phénomène survient tous les jours dans la région devenue depuis 2015 l’une des grandes étapes de la « route des Balkans ». Cette dernière relie la Turquie à l’Europe de l’Ouest, en passant par la Serbie, la Grèce, l’Albanie, la Macédoine du Nord ou encore le Monténégro. 

Les hommes viennent du camp de Lipa, un centre d’urgence situé en haut de la colline qui surplombe la vallée de Bihac. La plaine est ventée. Des dizaines de containers remplacent les quatre grandes tentes qui faisaient office d’abri avant qu’elles ne soient détruites par un incendie en décembre 2020. Le camp a été construit avec le financement de l’Union européenne et le soutien technique de l’organisation internationale pour les migrations (OIM). Il est particulièrement isolé. La ville la plus proche, Bihac, est à vingt-trois kilomètres, il faut donc marcher cinq heures pour accéder aux premiers commerces, à un hôpital. 

Pour pallier à ce problème, Zlatan Kovacevic, a fondé l’association SOS Bihac. Avec trois ambulances, sa fille et quelques volontaires, il assure un service de transport. Il prend en charge de nombreuses personnes, blessées par les autorités croates après avoir tenté de traverser la frontière. Kovacevic tient son engagement de son histoire personnelle : il a perdu une jambe lors de la guerre en Bosnie, il y a près de 30 ans. Depuis, il a des douleurs fantômes mais il n’est pas question pour lui de s’apitoyer sur son sort. Malgré la souffrance, il tient à être disponible 24h/24h et 7jours/7 jours. 

Dans la ville de Bihac une autre association, qui accueille des bénévoles de toute l’Europe, tente également de venir en aide aux migrants. Les volontaires de No Name Kitchen participent notamment à endiguer une épidémie de gale qui proviendrait de la vie en collectivité dans les camps. Pour échapper aux maladies et parce que Lipa est isolé, des personnes font le choix de vivre dans des squats, plus proches du centre-ville. Mais les lieux ne sont pas dotés d’eau courante et le traitement de la gale nécessite qu’ils prennent des douches. Alors les jeunes militants en bricolent sur un parking. 

L’association participe également à répertorier dans un livre noir, les « pushbacks ». Ce terme anglo-saxon englobe diverses pratiques qui ont pour conséquence de renvoyer de l’autre côté de la frontière les personnes qui recherchent une protection, au mépris des droits fondamentaux. Les migrants qui arrivent en Croatie sont aussitôt renvoyés en Bosnie sans que les autorités croates ne soient prévenues. Dans le cadre d’une procédure légale, ils devraient avoir la possibilité de déposer une demande d’asile et un certain nombre de principes juridiques devraient être respectés. La décision de refuser l’asile ou même l’entrée sur le territoire devrait être écrite et exposer les raisons qui la motivent. Les personnes devraient être informées de leurs droits, avoir la possibilité de faire un recours et bénéficier de l’assistance d’un avocat. Sans quoi, le refus d’entrée ou le renvoi s’apparentent à un refoulement ou un « pushback ». Ces pratiques illégales sont presque systématiquement accompagnées de violences, humiliations et vols. 

D’autres personnes tirent profit de la vulnérabilité des migrants. Des gangs Afghans patrouillent le long de la frontière. Ils sont armés, frappent et rackettent les candidats à l’exil. Parce que ce sont des voleurs, les migrants les appellent Ali baba. Dans ce microcosme, les passeurs ne sont pas en reste. Selon le pays de destination et les méthodes employées, ils proposent un prix qui varie entre 800 et 2 500 euros. Après avoir traversé la frontière, l’objectif est de quitter rapidement ses abords pour rejoindre la capitale croate avant d’être attrapé par les autorités. Les passeurs, proposent donc des voitures avec conducteurs ou cachent des véhicules dans la forêt et laissent aux migrants le soin de les conduire. 

Depuis 2015, la région est un lieu où se nouent les enjeux migratoires, sous les yeux des locaux qui ont eux-même connu la guerre. La plupart des Bosniens soutiennent les migrants. Mais parfois, lorsque leur nombre devient trop important, des habitants organisent des manifestations et dénoncent leur présence. Selon les dernières données de l’OIM, 2 514 migrants sont hébergés dans les quatre centres d’accueil de Bosnie-Herzégovine. Chaque jour ils sont des dizaines à tenter la traversée avec l’espoir de rejoindre un jour l’Europe.