LES RÉSEAUX SOCIAUX AU SERVICE DES PASSEURS

Facebook, Instagram, TikTok, WhatsApp, YouTube… Les réseaux sociaux regorgent de publications faisant la promotion de traversées clandestines. Des passeurs publient des vidéos où apparaissent d’anciens « passagers » qui tour à tour, lèvent le pouce en l’air. Les personnes semblent satisfaites. L’objectif : convaincre de futurs candidats à l’exil que les voyages organisés permettent de rejoindre l’Europe sans encombre.

Faire connaitre son business sur les réseaux

Pour rassurer les utilisateurs, certains passeurs n’hésitent pas à montrer comment ils procèdent. Ils se filment en train d’installer des échelles, de sectionner des clôtures ou d’embarquer en voiture ou en camion des personnes. 

Ensuite, c’est à la carte. Certains proposent le franchissement d’une seule frontière, d’autres un parcours complet avec un pays de départ et un pays d’arrivée. 

Des passeurs proposent encore de faux documents de transport (visas, passeports…) pour rejoindre l’Union européenne.

Parfois, les prix sont affichés. Pour rejoindre l’Allemagne depuis la Turquie, un passeur annonce 5 000 euros sur son compte TikTok. Sur cette vidéo, c’est 3 500 pour rejoindre la France depuis la Serbie. Impossible toutefois de savoir s’il s’agit d’un prix en euro. 

Dans la majorité des cas, le coût de la traversée n’est pas affiché. Un numéro WhatsApp est publié. Après avoir établi un premier contact, les prix sont divulgués en message privé. 

Ces plateformes en ligne sont devenues une préoccupation majeure pour Europol et Frontex. Les deux agences européennes se sont associées en 2021 pour réaliser un rapport sur « la digitalisation des passeurs de migrants » qui répertorie les différentes pratiques.

Des cartes de randonnée téléchargées sur des applications de cartographie

Le long de la Via Dinarica, un sentier mythique de randonnée traversant les Balkans occidentaux, les itinéraires sont balisés. Ils sont précis et peuvent être téléchargés dans des applications de cartographie telles que Maps.me ou GoogleMaps. Des hommes seuls ou en petit groupe utilisent ces cartes pour rejoindre clandestinement la Grèce depuis la Turquie, selon le rapport de 2021. Des bases de données leur sont envoyées. Une fois insérées dans les applications, elles peuvent être utilisées même sans connexion internet. 

Cette méthode aurait initialement été privilégiée par les ressortissants Marocains et Algériens pour s’affranchir des passeurs. Les données étaient alors transmises par des parents ou amis en Europe. Pour demeurer attractifs, les passeurs se sont adaptés. Moyennant finance, ils se sont mis à proposer un service similaire. Ils transmettent un itinéraire fractionné depuis la Turquie ou la Grèce où ils sont installés. Chaque partie est transmise au fur et à mesure de l’avancée du groupe. Ainsi, les passeurs s’assurent d’être rémunérés.

Passeurs : un service sous rémunération

Habituellement, le paiement des passeurs s’effectue une fois la personne arrivée à destination. Pour s’acquitter de la somme demandée, l’opération fonctionne via un système fondé sur la « hawala ». C’est un transfert de fonds répandu en Asie du Sud et au Proche-Orient. En amont, de l’argent est déposé chez des intermédiaires de confiance. Une fois la personne à destination, elle envoie un code qui débloque l’argent. Certains passeurs demandent une preuve de paiement avant l’envoi d’une quelconque information. Ces preuves sont alors transmises via les applications Western Union, Facebook, Messenger ou encore WhatsApp.

Lutter contre ce phénomène dans les Balkans : une ambition européenne

En 2015, 90 % des migrants utilisaient des « services de facilitation » pour rejoindre l’Union européenne, estimait Europol, l’agence européenne de lutte contre la criminalité organisée et internationale. Depuis, il est difficile de chiffrer précisément le pourcentage de personnes ayant recours à des passeurs. Toutefois, le phénomène ne semble pas avoir désamplifié. Il serait même en hausse selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unis. La fermeture des frontières, liée à la covid-19 aurait contraint de plus en plus de personnes à faire appel à ces services.

Un partenariat de 30 millions d’euros a été négocié entre les pays des Balkans et l’Union pour lutter contre le trafic de migrants. La route des Balkans occidentaux constitue en effet la principale voie empruntée par les personnes exilées pour rejoindre l’Europe. Ce partenariat devrait être financé par l’IAP (Instrument d’aide de préadhésion), un mécanisme financier à destination des pays candidats à l’UE. L’EMPACT qui organise la lutte de l’UE contre la criminalité organisée internationale devrait bénéficier de ces fonds. Pour son cycle de travail 2022-2025, les priorités identifiées sont notamment : « Cibler les criminels qui orchestrent les cyberattaques, en particulier ceux qui offrent des services criminels spécialisés en ligne. » 

La Commission européenne a également augmenté les crédits de Frontex. Elle a affecté 6,4 milliards d’euros à l’agence dans le cadre de son budget pour le prochain cycle budgétaire de l’UE (2021-2027). Ces fonds devraient servir à financer le déploiement des gardes-côtes et gardes frontières européens dans les Balkans.